Pièce essentielle du processus institutionnel de la dermatologie française, la création de la chaire de clinique des maladies cutanées et syphilitiques illustre les incertitudes et réticences dont les créations de chaires de spécialité furent l'objet pendant la plus grande partie du XIXème siècle. Liées à des considérations intellectuelles qui n'accordaient de réelle valeur qu'à un savoir encyclopédique, ces réticences furent aggravées par les positions respectives de l'Assistance Publique et de la Faculté de Médecine de Paris. La Faculté de Médecine, responsable officiel de l'enseignement et l'Assistance Publique, en charge de malades, persistèrent plusieurs décennies dans une mutuelle hostilité qui interdit toute création d'un enseignement devant conjuguer sur le même terrain l'apport des professeurs dispensateurs du savoir et les malades, essentiels à la démonstration clinique. Seules les conditions politiques nouvelles que suscita la défaite de 1870, incitèrent l'Etat à imposer sa volonté sur le terrain communal de l'Assistance Publique permettant ainsi l'installation de chaires de spécialité dotées de malades.
Le rapport Guérin n'ayant pas suffit pas à faire créer des chaires de spécialité, seuls des cours complémentaires délivrés par des agrégés libres assurèrent pendant près de 50 années, les enseignements distincts de la dermatologie et de la syphiligraphie. C'est ainsi que Cazenave fut d'abord chargé du cours complémentaire des maladies de la peau de 1841 à 1843. Alfred Hardy, sous le décanat de Rayer, favorable à l'enseignement des spécialités, reprit cet enseignement à partir de 1862, tandis que Verneuil était nommé au titre de l'enseignement des maladies syphilitiques.
En dépit de l'installation de ces enseignements complémentaires, la Faculté de Médecine restait très réticente à l'égard des spécialités médicales, parfois même considérées comme préjudiciables aux malades. Le rapport Gavarret en témoigne en donnant l'image d'un recul de pensée sur le texte de Guérin. Hostile en effet, à l'idée de spécialisation, Gavarret l'était même aussi à l'établissement d'hôpitaux spéciaux, dont il considérait le développement comme "fatal à la science et à l'art" et susceptible "d'altérer d'une manière fâcheuse le caractère de notre enseignement".
Ainsi, à la fin du Second Empire, peu nombreux étaient ceux qui à l'image de Giraldès faisait valoir l'intérêt de l'enseignement des spécialités. "(...) La spécialité dans l'enseignement est donc nécessaire, je dirai même indispensable et il est malheureux pour votre instruction, que, chez nous, les tendances officielles portent à rendre l'enseignement clinique tout encyclopédique. Ainsi, tandis que l'Allemagne et l'Angleterre marchent hardiment dans la voie des spécialités, qui est celle du progrès (...) nous conservons encore les errements dans lesquels notre faculté a été lancée à l'époque de sa création".
En fait, bien que la première étape vers la création d'une chaire d'enseignement des maladies de la peau indépendante date de 1830, c'est au lendemain de la défaite de 1870 que l'enseignement des spécialités fut véritablement perçue comme une nécéssité. Chauffard, Inspecteur Général de l'enseignement de la médecine, en donnait alors l'exemple: "Les cliniques générales ne suffisent pas à donner tout l'enseignement clinique. A côté d'elles, il faut placer des cliniques spéciales, dont l'importance est devenue telle aujourd'hui qu'une faculté de médecine où les enseignements spéciaux sont dédaignés est condamnée à un état d'infériorité fatale".
De plus, au rôle joué par les évènements de 1870 sur la prise de conscience d'une situation dégradée s'ajouta un autre évenement politique. La loi sur la liberté de l'enseignement supérieur de 1875 qui mettait en cause le monopole de la Faculté l'incita à créer des chaires de spécialités, indispensables pour affronter d'éventuelles concurrences.
Entraîné par un courant politique favorable, Chauffard proposa alors la cession de services hospitaliers de l'Assistance Publique à la Faculté de Médecine, comme la première condition de la réforme de l'enseignement des spécialités.
Conséquence de cette mesure qui autorisait la participation des médecins et chirurgiens des
Hôpitaux à l'enseignement, la création des cours cliniques annexes instituée par décret du
20 août 1877, suscita l'opposition des professeurs et agrégés. L'assemblée des professeurs de
la Faculté de Médecine émit alors le voeu, le 30 décembre 1875, que des cours cliniques fussent
consacrés à l'enseignement des spécialités medicales et chirurgicales. Quelques jours plus tard,
(le 6 janvier 1876) elle adoptait le principe selon lequel, l'enseignement des cliniques
spéciales pourrait être donnée par des professeurs titulaires. Contrainte de reconnaître enfin
les spécialités médicales, la Faculté alla même plus loin que les recommandations de Chauffard,
dans la définition du statut à donner aux nouvelles chaires de spécialités. En effet, alors que
Chauffard proposait la création de chaires complémentaires à durée déterminée, prenant place
après les chaires de clinique, la commission que présidait Broca, préféra, pour des raisons de
facilité d'application, l'établissement de "vraies chaires constituées exactement comme les
autres et mises sur le même pied".
Toutefois malgré ce qui, pour la première fois, apparaissait comme un consensus de la part des
représentants de la Faculté de Médecine, la création des chaires de spécialités n'était pas
encore totalement réglée. En effet, la question des difficultés d'installation physique de ces
chaires nouvelles sur le terrain de l'Assistance publique restait entière et de fait, cette
perspective fut aussitôt décrite par les représentants de l'Assistance Publique comme une
"grave affaire". Toutefois, l'Assistance publique fut contrainte par décret (20 août 1877) de
céder à l'Etat plusieurs services hospitaliers.
Cependant, si la création d'un enseignement officiel de la dermatologie pouvait être considéré
comme novateur, les conditions liées à cette création obligent à modérer l'apport réel de cette
chaire nouvelle à la dermatologie. En effet, regroupés dans une seule et même chaire, les
enseignements de ce qu'alors on appelait les maladies cutanées et syphilitiques, étaient soumis
à l'intérêt particulier de tel ou tel titulaire de la chaire, intérêt presqu'exclusivement de
nature syphiligraphique dans le cas de Fournier.
L'orientation de l'enseignement de Fournier,
bientôt perçu comme un facteur limitant justifia, peu après la création de la chaire, une
proposition de dédoublement présentée à l'assemblée des professeurs le 19 mai 1881. Le Fort,
auteur de ce projet, jugeait que la notoriété de Fournier en matière de syphilis jetait "par
cela même une ombre sur la seconde partie du programme qui incombe à ce double enseignement
fusionné". S'appuyant sur une comparaison avec les universités germaniques au débit de la
France, Le Fort considérait la création d'une chaire de dermatologie comme "conforme aux
nécéssités de l'enseignement, comme elle est conforme aux voeux de la faculté". Il demanda
alors le transfert de la chaire de syphiligraphie à l'hôpital du Midi tandis que la chaire
nouvelle de dermatologie serait seule établie à Saint-Louis. La réponse de Fournier, indiquait
en quels termes il considérait la dermatologie et par la-même, les limites, pour la dermatologie
française de la création de la chaire sous sa forme double. L'argumentation de
Fournier ne s'appuya à aucun moment sur la spécificité de
la dermatologie mais seulement sur ce que le transfert à l'hôpital du Midi, pourrait avoir de
pénalisant pour l'enseignement de la syphilis.
Professeur chargé d'enseigner les maladies de la peau, il ne voyait en fait ces pathologies que
comme un simple complément de la syphilis.
L'argumentation de Fournier et sa personnalité eurent
raison de la proposition de Lefort et des réticences de Hardy. Le projet de dédoublement de la
chaire fut repoussé par 23 voix contre 1.
Gaucher succéda à Fournier en 1902 puis
Jeanselme occupa la chaire à partir de 1918. Gougerot
lui succéda en 1928 avant que Degos occupe la chaire à partir de 1951. Il fallut attendre 1953
pour que fut créée à la Faculté de Médecine de Paris, une chaire individualisée de clinique
dermatologique confiée à B. Duperrat.
Ainsi, les circonstances de création de la chaire de clinique des maladies cutanées et
syphilitiques apportent un témoignage des résistances qu'il fallut vaincre avant que ne fut mis
en place un enseignement officiellement assuré par un professeur de clinique. Près de 80 ans
séparèrent en effet les premières leçons d'Alibert (1802) à
l'ombre des tilleuls de Saint-Louis de la première leçon d'
Alfred Fournier dans la Clinique de ce même hôpital (1879). Entre ces deux dates,
plusieurs commissions, exprimèrent ces résistances, que seul le climat politique de
l'après-guerre de 1870 parvint partiellement à vaincre. Rappelons qu'à la veille de la Grande
Guerre, les spécialités médicales n'étaient toujours pas inscrites dans les textes règlementant
les études médicales en France. La victoire du spécialisme, à la lumière des évènements de
mai 1968 peut ainsi être interprétée comme les conséquences, non pas de progrès technologiques,
mais à nouveau de pressions politiques et d'enjeux idéologiques qui "ont permis en quelques mois
la réalisation de ce que les résistances du mandarinat en place avait toujours empêché".