LA NAISSANCE DU PSORIASIS

Daniel WALLACH
Conférence non publiée
prononcée le 3 décembre 1997 aux Journées Dermatologiques de Paris

Robert Willan (1757-1812) fondateur de la dermatologie moderne, décrivit et dénomma le psoriasis en 1805.
Auparavant, de nombreux textes parlent de maladies de peau, mais de façon trop vague pour qu'il soit possible d'y identifier le psoriasis, ni d'ailleurs aucune autre maladie.
La Bible est le plus célèbre de ces textes. Le chapitre 13 du Lévitique est consacré à la lèpre. Ce mot, traduction de l'hébreu "Zaraath" ne désigne pas l'actuelle lèpre (maladie de Hansen) mais une impureté au sens large (le même terme s'applique à la lèpre des vêtements, ou à la lèpre des habitations). Cette impureté, attestée par le prêtre, a un sens très précis:
Si un homme perd ses cheveux, il a la tête chauve; il est pur; s'il perd ses cheveux sur le devant, il a le front dégarni; il est pur; mais s'il se forme dans sa calvitie, au sommet de la tête ou sur le front, un mal d'un blanc rougeâtre, c'est une lèpre qui est en train de bourgeonner ( .... ) c'est un lépreux, il est impur; le prêtre le déclare impur; le mal l'a frappé à la tête.
Le lépreux ainsi malade doit avoir ses vêtements déchirés, ses cheveux défaits, sa moustache découverte, et il doit crier: "Impur! Impur!"; il est impur aussi longtemps que le mal qui l'a frappé est impur ; il habite à part et établit sa demeure hors du camp.

Au-delà de la précision clinique (l'alopécie androgénétique semble ici opposée au psoriasis érythémato-squameux du cuir chevelu), le plus frappant est la dimension religieuse de la maladie : déclaré impur, le malade est exclu de la vie sociale.
Qu'appelait-on lèpre ? Au sens biblique, c'était donc une maladie cutanée impure, qui probablement était squameuse et n'avait en tout cas rien à voir avec l'actuelle maladie de Hansen, longtemps appelée Elephantiasis des grecs. La lèpre et le psoriasis sont bien différents, ne serait - ce que parce que la lèpre entraîne des paralysies et mutilations spectaculaires. Cependant, certaines lésions cutanées des deux maladies peuvent se ressembler, et on considère habituellement que de nombreux psoriasiques ont dû subir au Moyen Age des mesures de ségrégation, voire d'extermination, réservées aux lépreux.

Le psoriasis est fréquent, et a probablement toujours été fréquent. Il est donc particulièrement intéressant de constater qu'il a fallu la mise au point de la méthode séméiologique d'analyse des lésions élémentaires, proposée par Plenck (1735 - 1807) et appliquée et perfectionnée par Willanpour parvenir à l'individualiser.
Robert Willan, médecin dans le dispensaire de Carey Street à Londres, entreprit en 1798 une description des maladies de la peau, en les classant à partir de leurs lésions élémentaires. Le fascicule consacré au premier ordre des dermatoses, celui des lésions papuleuses, parut en 1798.
Le fascicule consacré au second ordre, celui des lésions squameuses, parut en 1805. Dans ce deuxième ordre, Willan inclut quatre maladies: la lèpre, le psoriasis, le pityriasis et l'ichtyose.
Le psoriasis se trouve en réalité décrit à la fois dans le chapitre intitulé psoriasis et dans celui intitulé lèpre, sous le terme Lepra vulgaris.
Il s'agit là de la première description reconnaissable du psoriasis, même si, selon certains auteurs, dans l'Antiquité Celse en décrivit le tableau clinique et si Galien utilisa le terme, pour décrire, sans doute, une dermite séborrhéique.
Mais la Lepra vulgaris de Willan était donc aussi un psoriasis; les deux dermatoses différaient seulement par le caractère plus ou moins arrondi des lésions. Cette confusion, plus sémantique que médicale, n'eut probablement pas beaucoup d'importance : Willan, puis son élève et continuateur Bateman (1778 - 1821), puis les willanistes comme Rayer (1793 - 1867), ne confondaient pas la lèpre et le psoriasis comme on le lit parfois, mais avaient donné ces deux noms distincts à des maladies squameuses très proches.
Plumbe et Duffin, puis dès 1834 Gibert (1797-1866), willaniste lui aussi, proposèrent que la lèpre et le psoriasis de Willan étaient une seule maladie:
les mots psoriasis et lepra doivent s'appliquer à des affections cutanées de la même nature, et qui ne diffèrent entre elles que par la forme, en sorte qu'on peut très bien n'en faire que deux variétés d'une même maladie;(...). En conséquence, réunissant ensemble le psoriasis et le genre lepra (séparés par Bateman), nous donnerons comme caractères de la maladie squameuse dont ils constituent deux variétés, les signes suivants:
plaques rosées et légèrement élevées au-dessus du niveau de la peau, recouvertes de squames minces (d'un blanc argentin, chatoyant, nacré) de forme arrondie et disposées en en cercles dans la lèpre vulgaire, de forme variable et irrégulière dans le psoriasis.

Le psoriasis, en tant que maladie décrite et identifiée, naît donc avec la dermatologie moderne au début du dix-neuvième siècle. Ses différentes formes cliniques seront progressivement précisées. Willan avait déjà décrit, outre Lepra vulgaris, les psoriasis en gouttes, diffus, palmaires, et invétéré. Ultérieurement s'ajoutèrent les formes circinées, universelles, rupoïdes, aiguës.
Les psoriasis pustuleux furent décrits par Radcliffe Crocker en 1888, et des formes particulières individualisées par Hallopeau (1890), von Zumbusch (1910) et Barber (1927). Le rhumatisme psoriasique fut, décrit avec précisionpour la première fois par Besnier en 1886.
L'étude histologique fut effectuée dans la seconde partie du 19ème. siècle. Auspitz, déjà auteur de la description clinique du signe de la rosée sanglante, décrivit l'acanthose et la parakératose. Munro, en 1898, décrivit les micro-abcès à polynucléaires.

Aujourd'hui le psoriasis est bien connu et son diagostic ne pose guère de problèmes. Par contre, la pathogénie est toujours obscure et, si de nombreux traitements sont proposés, aucun ne peut être qualifié d'idéal.


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