Michel JANIER
Hist.Sci.Méd., 1994 , 28
La gale est une maladie de la peau produite par un parasite animal, le sarcopte ou Acarus scabiei et caractérisée par une lésion spécifique, l'éminence acarienne et le sillon. Cette définition de Bazin dans le dictionnaire Dechambre de 1880 est proche de la définition actuelle: ectoparasitose cutanée due à un acarien Sarcoptes scabiei hominis, strictement humain. Une définition simple pour une maladie simple dont l'étiologie parasitaire évidente aurait pu être affirmée dès le début du 17è siècle (invention du microscope) voire avant, le parasite pouvant être distingué à l'oeil nu un peu myope, si les préjugés des théoriciens du monde médical avaient été prêts à accepter une telle hypothèse. Or, il faudra attendre la fin du 19è siècle pour que l'origine parasitaire de la gale ne soit vraiment acceptée. L'histoire du sarcopte de la gale illustre une des plus incroyables épopées médicales du 19è siècle.
Les grand noms de la médecine se sont illustrés dans des tentatives théoriciennes. Celse de Vérone attribue la psora à un vice interne des humeurs, Galien de Pergame à des humeurs mélancoliques, Avicenne de Boukhara à un mélange de sang, d'atrabile et de pituite. Les médecins occidentaux n'ont pas fait beaucoup mieux jusqu'à la fin du 18è siècle, jusqu'à Lorry et Hahnemann fondateur de l'homéopathie et tenant de la dyscrasie psorique.
Il n'existe, chez les Anciens, aucune description d'ensemble de la gale. Rien dans Hippocrate, pas grand chose dans Aristote qui pourtant a fait dans son "Histoire des animaux" de vagues descriptions compatibles avec la maladie ; Galien n'en fait que de vagues mentions, Celse, Horace et Cicéron, Pline l'ancien évoquent la psora ou la scabiès mais il semble bien que la psora correspondait à l'ensemble des maladies squameuses et furfuracées et que la scabiès regroupait l'ensemble des affections prurigineuses de l'époque.
Cette description de Bonomo tranche par son exactitude avec celles de ses contemporains,
particulièrement folkloriques par exemple celle de Heintke (Leipzig 1675), celle de Griendelius
(Nüremberg 1687) et celle de Leeuwenhoeck (1688 et 1695) qui en fait confond l'agent de la gale
avec l'acare du fromage Tyroglyphus domesticus .
Au cours du 18è siècle, assez peu de progrès sont réalisés. Les défenseurs de la théorie de
Bonomo, en particulier Linné, classent tour à tour l'acarien de la gale dans les insectes, les
poux pour enfin l'assimiler à l'acare du fromage (1734). Les descriptions de Schwiebe (1722)
sont encore très approximatives de même que celles de Geoffroy (1764) qui crée le terme
d'Acarus humanus subcutaneus.
Le mérite de Carl de Geer, élève de Linné fut en 1778 de bien différencier l'acare de la gale
humaine de celui du fromage et de faire de la bestiole une description tout à fait correcte et
de beaux dessins dans son "Mémoire pour servir à l'histoire des insectes".
Johann Ernest Wichmann (Hanovre 1786) améliore dans "l'Aetiologie der Krätze" encore la qualité
des représentations du sarcopte et émet une doctrine acarienne parasitaire de la gale, très
moderne. Un peu plus tard, à Philadelphie, Joseph Adams (1807) rajoute encore des détails
anatomiques qui complétent l'exactitude de la description du sarcopte. On pourrait penser que
l'affaire est jouée et que plus rien n'est à découvrir dans cette maladie.
Or, il n'en est rien. Ces descriptions et ces théories sont le fait d'individus isolés,
médecins ou naturalistes, dont la voix qui crie dans le désert n'est pas entendue. La Faculté a
oublié ou négligé ces descriptions. Pour elle, la gale est plus que jamais une maladie de cause
interne. La présence d'insectes est attribuée aux vices des humeurs ou au simple hasard, donc,
insignifiante. Le ciron de la gale est d'ailleurs rarement retrouvé par les plus curieux, ceux
qui le recherchent.
La théorie parasitaire de la gale a, contre elle, les préjugés que le siècle des lumières
n'arrivera pas à vaincre. Allen, en 1741, dans son traité des Maladies de la peau reconnaît
"la démangeaison insupportable qui accompagne toujours la galle a fait soupçonner quelques
auteurs que cette maladie soit produite essentiellement par de petits animaux, ce qui selon
eux, la rend si facilement contagieuse mais nous n'avons rien de bien clair la-dessus que ce
que l'on trouve du Dr Bonomo dans ses transactions philosophiques".
Lorry dans le "Tractatus de Morbis cutaneis" (1777) souligne que personne n'a jamais revu les
insectes de Bonomo et que la présence d'éventuels animalcules ne peut expliquer les gales
internes et la guérison de maladies graves par l'inoculation psorique. C'est donc bien
l'acrimonie du sang qui est en cause.
Les plus modernes, ceux qui croient en l'acarien, le regardent non comme la cause mais comme le
produit de la maladie. Même Joseph Adams qui a fait de belles descriptions du parasite
différencie la gale sarcoptique de la véritable gale, humorale nécessitant la correction des
vices internes. Pinel et Bateman adoptent ces mêmes théories. Un traitement externe isolé serait
même dangereux car repousserait la maladie au dedans, aggravant le vice intérieur des humeurs;
c'était déjà l'idée de Celse au 1er siècle avant Jésus-Christ!
Aucun de ces précurseurs ne sut convaincre ni transmettre à ses successeurs leur concept et
l'impossibilité où l'on était de trouver l'animalcule auquel on prétendait rapporter la gale fit
naître des doutes sur la bonne foi de ceux qui disaient l'avoir observé!
L'obscurantisme atteint son apogée avec Hahnemann (1786) et sa théorie de la dyscrasie psorique,
proche de celle de Galien à l'aube du 19è siècle. Il est vrai que le problème était notablement
compliqué par la confusion existant entre les différentes dermatoses, la galle regroupant dans
l'esprit de beaucoup les impétigos, l'eczéma, le lichen et même la lèpre.
Allen (1741) : "la galle maligne et invétérée dégénère ordinairement en lèpre", constatation
proche de celle de Celse "la psora, lorsqu'elle dure longtemps peut se convertir en lèpre"
(1er siècle avant Jésus-Christ) et de celle de Paul d'Egine (634)" la psora est une affection
voisine de la lèpre". La contagiosité de la maladie est bien connue. Willis souligne : "il n'y a
certainement aucune maladie à l'exception de la peste qui soit plus aisément et plus sûrement
contagieuse que celle-là. Quant aux stations thermales, elles créent la confusion". Allen
remarque (1741) "j'ai vu plusieurs malades aller à Bath et en revenir lépreux confirmés".
Ainsi, au début du 19è siècle, si Alibert, Biett et Willan croient mordicus à l'existence du parasite, celui-ci était de nouveau perdu et malgré des tentatives multiples restait introuvable. Ce qui n'empêche nullement les femmes corses, les paysans des Asturies et les vieilles indiennes de l'Orenoque (Humbolt 1800), plus malins que les doctes médecins de l'Hôpital Saint-Louis, d'extraire l'acarien à l'aiguille et de guérir la maladie. Il est vrai que ces modestes précurseurs n'avaient pas l'esprit obscurci par les théories médicales du moment.
Rien de spécial , ni de nouveau ne se passe jusqu'en 1829 mais la validité des expériences de
Galès est de plus en plus contestée d'autant que Galès refuse de participer à toute
confrontation publique et que Patrix, laissé à Saint-Louis en otage, est incapable de faire
apparaître l'insecte.
Rayer considère que l'existence de l'acarus est chimérique.
Cazenave (1828) : "il faut réinviter
Galès à Saint-Louis, s'il est si doué pour repérer les vésicules infectées". Jusqu'à ce que
M. Galès le fasse voir nous nous croyons autorisés à penser que l'acarus n'existe pas".
Galès fait la sourde oreille. Biett (1833) devient un partisan acharné de la non existence du
sarcopte et la polémique se nourrit des conflits entre les Alibertistes qui croient encore au
sarcopte et les Willanistes menés par Biett qui n'y croient plus. Des échanges de lettres
sulfureuses entre les deux camps se font dans la "Lancette française" en 1829.
Alibert est en
mauvaise posture ! Le coup de grâce sera donné par Raspail.
François-Vincent Raspail, né à Carpentras en 1794, est autodidacte et contestataire,
anti-conformiste, libre penseur, socialiste, un peu anarchiste, mais l'un des esprits
scientifiques les plus brillants du 19è siècle. Il est, en effet, à la fois chimiste,
hygiéniste, cytologiste et l'un des inventeurs de la théorie de la cellule, et surtout
microscopiste.
L'affaire du sarcopte l'intéresse. Il fait d'abord ses propres recherches qui sont toutes
négatives. Sans idée préconsue, il attribue d'abord ses échecs à son inexpérience, au climat de
Paris et aux traitements reçus par les malades. Puis, comparant les dessins de Galès et de
De Geer acquiert l'intime conviction que Galès a fraudé, mystifiant tout le monde en substituant
la mite du fromage au prétendu acarien. Dès lors (1829), Raspail s'engage dans la bataille et
commence une campagne pour pourfendre la mystification "avec l'obstination de l'inspecteur
Javert poursuivant Jean Valjean dans les Misérables". Il trouve en Lugol un allié de taille.
Lugol venait de prendre, en même temps que la chefferie du service de Dermatologie concurrent
de celui d'Alibert (1820), la tête du parti anti-acarus. Il
avait promis un prix de 300 F
(100 écus) à l'étudiant qui démontrerait l'existence de l'acarus. Patrix, toujours à
Saint-Louis, inconscience ou grande naïveté, veut relever le défi mais
Alibert le calme (1829)
considérant probablement que la plaisanterie a assez duré. Le chirurgien Arnal, élève de Lugol,
attaque Patrix de front dans la Lancette française : "qui peut croire que des bataillons de
bestioles manoeuvrent sous la peau ?". Patrix : "je les ai vus à l'oeil nu sur la glace du
microscope". Arnal : "ils faisaient probablement de la luge !". Patrix temporise : "déposez
d'abord vos 300 F, nous verrons ensuite !".
Le 2 Septembre 1829, un certain Meynier annonce à Lugol qu'il a trouvé l'insecte et souhaite
le démontrer en public .
Aussitôt dit, aussitôt fait. Devant Bailly, Cloquet, Lugol et une docte assemblée, Meynier place
une goutte d'eau sur le microscope, prélève les vésicules d'un galeux, agite le produit avec son
ongle et fait apparaître la bestiole à l'admiration des témoins.
Les plus vieux reconnaissent parfaitement l'acarus de Galès. Toutes les précautions avaient été
prises pour éviter une supercherie. Cloquet annonce publiquement que Lugol a perdu son pari.
Alibert jubile. Làs, quelques jours après, Meynier décline
les 300 francs et Raspail -dont
Meynier est en fait l'émissaire- révèle la supercherie. Meynier avait dans sa poche du fromage
avarié et avait déposé avec son ongle les mites du fromage sous le microscope. Lugol jubile.
Alibert est atterré. Il n'y a plus d'autre solution que
d'envoyer Patrix relever le défi.
Dans l'hilarité générale, alors que Latreille en profite pour supprimer de la nomenclature le
genre Sarcoptes scabiei, le 22 Octobre 1829, Patrix se rend à l'Hôtel-Dieu pour une séance
publique de sarcoptologie. Prudents Alibert, Lugol,
Latreille et le maître de céans Dupuytren
déclinent l'invitation. Malgré une mise en scène sophistiquée faite d'un amoncellement de bains
Marie et quelques malades particulièrement coopérants, c'est le fiasco total. L'acarus
n'apparaît pas. Alors Raspail se lève, sort du fromage avarié de ses poches, saupoudre les
préparations de Patrix, fait constater la similitude de la mite du fromage avec l'acarus de
Galès et s'en va en marmonant que "le fromage avarié lui a coûté plus cher que du fromage
frais"... Une nouvelle expérience présidée par Dupuytren arrive quelques jours plus tard aux
mêmes conclusions. Patrix est sévèrement admonesté par la faculté mais tout le monde saura que
les critiques sont directement adressées à Alibert.
Nous voici en 1830, la Révolution bat son plein et le sarcopte est toujours introuvable alors
que Raspail est sur les barricades. Le monde médical désenchanté, bien loin d'encourager de
nouvelles recherches ne veut plus entendre parler de l'insecte.
Alibert lui-même commence à
douter de son existence. De fait, le seul à y croire est curieusement Raspail qui n'a jamais
démordu de la théorie acarienne et qui pense que l'acarus apparaîtra bien un jour.
Galès est sévèrement jugé par ses contemporains:
Pour Devergie: "le prétendu acarus valut à son inventeur
de la part de l'Institut une
récompense honorable au lieu de la réprobation et du mépris qu'il méritait";
Pour Raspail: "Galès a faussement montré l'acare du fromage pour acquérir facilement gloire
et argent";
Pour Biett : "Cette réussite constante d'une part et cet insuccès continuel d'autre part
laissèrent dans l'esprit, je ne sais quel doute dont il était difficile de se défendre" ;
Pour Cazenave: "On peut douter de la bonne foi de ce
pharmacien".
Pour les plus indulgents:
- "l'aventure de Galès servit du moins à ramener fortement l'attention sur la gale et son
parasite, quel que soit le jugement que l'on porte sur le personnage".
Galès était probablement un escroc. Au mieux, ayant découvert par hasard le sarcopte dans une
vésicule, il perpétua la fraude par amour propre, goût du lucre et de la notoriété. Il quitta
Saint-Louis en 1815, fit fortune en ville avec son appareil de fumigation au soufre. Il est mort
en 1854 sans avoir jamais répondu aux attaques de ses pairs.
Nous en sommes là en 1834. Alibert est un homme usé qui doit
de temps en temps faire des
cauchemars de sarcopte lorsqu'il est abordé de nouveau par un jeune étudiant en Médecine.
5. La merveilleuse histoire de Simon François Renucci (1834)
Simon François Renucci, né en Corse, licencié en lettres de l'Académie de Paris, étudiant en
Médecine à l'Hôtel-Dieu est abasourdi par l'état lamentable des connaissances sur la gale en
1834. Il a vu fréquemment les femmes corses extraire l'acare. Lui même l'a souvent fait. Mais,
comme l'avaient déjà souligné Thomas Mouffet et Wichmann, l'acare ne doit pas être recherché
dans les vésicules mais au bout du sillon, à distance de ces mêmes vésicules qui ont séparé
pendant des siècles les échecs du succès!
Renucci devient un fidèle de l'enseignement d'Alibert,
convainc le maître du succès assuré de
ses recherches. Le maître annule ses vacances et le 13 Août 1834 a lieu le miracle.
Laissons Renucci décrire cet épisode. "Après avoir assisté à une leçon de
M. Alibert, j'eus
l'occasion d'entretenir ce professeur sur cet animalcule merveilleux, tant de fois exploré
vainement au microscope, objet de tant de controverses et de tant de contradictions ; et les
doutes qu'il manifesta sur la possibilité de le trouver facilement me firent prendre le parti
de lui en fournir des preuves irrécusables. Aussi, dès le 13 Août 1834, apercevant, à la
consultation de ce médecin, une jeune femme, dont la mise annonçait l'aisance, dont les mains
offraient de nombreuses vésicules de gale, et qui n'avait subi aucun traitement, j'annonçai
positivement à tous les médecins et élèves qui se trouvaient là que bientôt ils verraient
l'insecte fabuleux.
En effet, j'en fis l'extraction à l'aide d'une épingle ; le ciron marcha très bien sur mon
ongle, et chacun put le voir à l'oeil nu. Je fus alors prié par la foule des spectateurs de
répéter la même opération sur un autre galeux, et le même résultat ne se fit pas longtemps
attendre. A l'instant même, M. le professeur Alibert en fit
dresser procès-verbal, qui, après
avoir été signé par nous tous, fut envoyé à la Faculté. Cette nouvelle, insérée dans la
Gazette des Hôpitaux, trouva presque autant d'incrédules que de lecteurs. Au point où en était
la science, le doute était certes bien permis mais y avait-il beaucoup de philosophie à se
retrancher derrière un défi positif ou derrière une négation absolue?
Et cependant des hommes d'ailleurs fort honorables, me firent publiquement des provocations qui
bientôt s'anéantirent devant les faits".
Le 16 Août 1834, l'expérience de Renucci est publiée dans la gazette des hôpitaux, dans
l'indifférence ou l'incrédulité générales. L'expérience est reproduite le 20 Août 1834
publiquement. Lugol ricane : "Alibert a interrompu ses
vacances alors qu'il en avait bien
besoin! Il est courageux, en fin de carrière, après des défaites aussi retentissantes de
revenir au combat". "Je renouvelle mon prix de 300 F pour l'étudiant qui trouvera le sarcopte".
Lugol se dirige tout droit vers le précipice.
Le 25 Août 1834 , la séance est annoncée dans la gazette des hôpitaux et se tient, en terrain
neutre, dans la clinique d'Edouard Emery, le temps est chaud et ensoleillé, les conditions
métérologiques sont bonnes. Il est 9H, sont réunis Sabatier, Pinel, Legros, Emery, Lugol,
Alibert, Raspail avec ses planches probablement usées,
cornées et maculées de fromage avarié, ainsi qu'une nombreuse assistance.
A 10 H, Renucci extirpe l'acarus au bout d'une épingle, le place sous le microscope. Emery, le
neutre, reproduit facilement l'expérience. Raspail constate la similitude de la bête avec les
planches de De Geer. Lugol reconnaît sa défaite. Renucci a gagné le prix. L'existence de
l'acarus ne sera plus jamais discutée.
Renucci publiera sa découverte dans sa "Thèse inaugurale sur la découverte de l'insecte qui
produit la contagion de la gale, du prurigo et du phlyzacia" (6 Avril 1835). Le petit point
blanc, l'animalcule de la gale de l'homme ne se trouve jamais dans le fluide des vésicules.
Renucci fait ensuite une tournée triomphale à la Charité chez Rayer, aux Vénériens chez Ricord,
à la Faculté chez Cloquet. L'histoire ne dit pas si Renucci a touché les 300 F de Lugol,
probablement pas. Plus personne n'entendra jamais parler de lui.
Alibert modifie ses planches et Raspail recueille la gloire
de la publication dans "le Bulletin
général de thérapeutique" (1835) . Il est poursuivi sous le Second Empire pour exercice illégal
de la médecine après avoir donné pendant dix ans des consultations gratuites dans son centre de
santé, rue de Sévigné. Exilé, puis, président de la Société des Droits de l'Homme, doyen de la
Chambre des députés sous la 3è république, il refuse la légion d'honneur en 1878 quelques jours
avant de mourir.
L'histoire de la gale n'est pas tout à fait terminée. Les préjugés ayant la vie dure, la
reconnaissance du sarcopte ne suffit pas à les effacer jusqu'à la fin du 19è siècle. Les plus
grands considèrent le sarcopte non comme la cause mais comme le produit de la maladie, qui elle
même est due à la malpropreté, la misère et la débauche.
Devergie écrit en 1852 : "l'identification de l'acarus avec la maladie dans laquelle on le
rencontre n'est qu'une pure induction de l'esprit". "Le sillon génère l'acarus" : Devergie est
partisan de la génération spontanée comme beaucoup de ses contemporains avant Pasteur.
6. Les traitements
Les traitements découlent directement de ces théories et jusqu'à la fin du 19è siècle, les
traitements à visée interne seront systématiquement associés aux topiques. Ils vont, cependant,
se simplifier considérablement avec le temps. Parmi les traitements externes les plus utilisés,
se trouve le soufre, dont l'efficacité dans la gale est connue depuis Celse.
La pommade sulfo-alcaline de Helmerich (1812) contenant de l'axonge, du carbonate de potassium
et du soufre ou ses équivalents est appliquée après des frictions énergiques au savon noir
pendant 15 jours par Alibert, également par
Cazenave, chef du service des galeux (1838), qui
est partisan comme Hebra de badigeons localisés aux zones atteintes . La durée d'hospitalisation
n'est plus que de six jours avec Bazin, Chef du service des galeux en 1850 et Hardy en 1852
fait fermer son service des galeux en recommandant une seule application d'une heure trente
"(la frotte)".
Ces traitements sont fort irritants et d'odeur affreuse voire "méphitique". "Il est difficile de voir une guérison dans l'état de ces pauvres diables renvoyés dans leur garnis ou leurs ateliers qu'ils ont quittés deux heures auparavant peut être avec leurs acarus morts mais avec tous leurs boutons, plus une couche sur tout le corps d'une pommade qui altère à tout jamais leur linge et neuf fois sur dix avec une éruption nouvelle produite par le traitement . Seuls, les militaires, jeunes gens vigoureux peuvent supporter le traitment mais les femmes et les gens du Monde non.
Des progrès substantiels seront réalisés plus tard avec le Baume du Pérou (1860) puis les pyréthrines (1930), le Benzoate de benzyle (1937).
Revenons pour terminer au sarcopte. Son heure de gloire fut importante dans les années 1950, chacun vantant la facilité avec laquelle on pouvait l'extraire.
Ainsi, Bazin : "on déchire avec une aiguille l'épiderme à 1mm environ du point blanc vers
lequel on se dirige avec précaution. On presse l'instrument sous l'animalcule qui s'y cramponne
en se tenant immobile pendant quelques instants. Il ressemble alors à un grain de fécule mais
bientôt, il exécute des mouvements qu'on peut apercevoir même à l'oeil nu. La découverte du
parasite est un flagrant délit pathologique". Il ajoute "la gale est une maladie fâcheuse qui
couvre la peau de lésions de toute sorte à l'aspect répugnant". Cette répulsion est illustrée
dans la locution populaire "être méchant comme une gale".
Devergie (1857) : "l'acarus enlevé de son sillon en hiver est engourdi par le froid, ramassé,
pelotonné, immobile. Il suffit de l'approcher un peu du feu pour lui voir exécuter des
mouvements forts rapides. Mis dans l'huile de cade, il s'agite, parait inquiet, étonné puis se
roidit et s'immobilise".
Lanquetin : "on introduit doucement une épingle parallèlement à la peau. Si l'opération est
bien faite, on doit voir sur l'aiguille le sarcopte qui s'y tient cramponné. Cette petite
opération est d'une extrême simplicité et ne demande qu'un peu d'habitude et une vue ordinaire".
Les mauvais esprits émettent des critiques. Ainsi, Augé dans son traité" Comment diagnostiquer
la gale quand on n'est pas dermatologiste", écrit : "par le temps qui court où chaque médecin
voit vingt fois plus de malades qu'il n'en peut examiner sérieusement, croyez-vous qu'il pourra
dépenser deux heures à caractériser un sarcopte perché au bout d'une aiguille ?".
Telle est, en " quelques " mots la véritable histoire du sarcopte de la gale.